Zemmour, dynamiteur de la vie politique

Fidèle à sa vision, il fait peur et révèle les vieilles manies gênantes…

Les Républicains l’imitent tardivement, une partie de la gauche s’enferre dans son déni et sa paranoïa. En se portant candidat à l’élection présidentielle, Éric Zemmour provoque une agitation instructive dans le vieil entre-soi des gens de pouvoir qui façonnaient tranquillement l’opinion publique jusque-là.

Lit Explosive Fuse Crackling and Sparking (iStock)

On dirait des mômes attirés et répulsés par la violence du cador de la cour de récré : tous désapprouvent sa tyrannie et le craignent, et tous sont fascinés par lui et aimeraient bien s’imposer aussi efficacement.

À droite, le RN inquiet…

Parmi ces mômes, on retrouve ceux qui voudraient être comme lui mais n’osent pas (ou plus) par souci de relégation ou de validation sociale : la droite politique, LR et RN principalement.

Le cador historique de la droite nationaliste et patriotique -le RN et sa candidate Marine Le Pen- voit d’un mauvais œil l’arrivée de ce mouflet qui frappe plus fort. Ses thèmes les plus porteurs (souveraineté, immigration, islam, identité) sont aussi ceux de l’ancien journaliste, qui rencontre naturellement son public -tandis que la porosité d’une partie de l’électorat RN n’est un mystère pour personne.

Capture d’écran France TVinfo.

Logiquement, MLP et son état-major se sentent menacés dans leur stratégie de normalisation et réagissent : la vidéo de candidature de Zemmour ? « Passéiste et crépusculaire« . Zemmour ? Un « polémiste » qui « n’apporte rien » et déploie « une forme de brutalité« . Ces attaques semblent mues par une double inquiétude. Celle de voir une partie de son électorat se tourner vers lui dès le premier tour, et celle née de la contestation de la stratégie par une partie de ses cadres (Nicolas Bay, Philippe Vardon ou Stéphane Ravier par exemple). Le Pen le reconnaît elle-même : Zemmour est « un concurrent » qui « disperse des voix qui sont utiles au redressement du pays« . La baronnie RN est menacée, et le sent.

… et LR envieux ?

Pour LR, c’est différent. La droite traditionnellement libérale, européiste et mondialiste ressemble au gringalet fasciné par la brute Zemmour. Le parti qui enverra Valérie Pécresse à l’élection semble tenaillé par des sentiments ambivalents, entre attraction et répulsion. L’équation est simple : LR craint un siphonnage de ses électeurs les plus à droite. Les candidats à la primaire LR ont donc été forcés de se positionner sur les sujets prisés par Zemmour, affichant une fermeté parfois opportune sur l’islam, l’identité, et l’immigration durant les primaires.

Envoyée dans la cour, Valérie Pécresse martèle donc un discours fortement régalien pour « mettre fin à l’immigration incontrôlée« , « renforcer la sécurité au quotidien« , ou encore « réarmer notre pays contre l’islamisme et le terrorisme« . Qu’elle est loin, la Pécresse qui expliquait que l’islam est « une religion française » ! Forcée par Zemmour à sortir du bois et à se positionner plus fermement, Pécresse sera jugée sur ses éventuels revirements rhétoriques en cas de second tour face à Macron.

À gauche, le déni et l’injure

Les mômes de gauche sont eux comparables aux gamins devenus impopulaires qui haïssent le caïd parce qu’il est le centre de l’attraction, et pas eux : ils ont peur de ne pas exister. Mais au lieu de s’adapter, ils paniquent, s’avilissent ou s’enferment dans le déni. Leurs armes : l’anathème, la censure, voire carrément l’injure.

Sans argument, le PS se réfugie dans le reductio ad hitlerum : Zemmour a « le discours de Pétain » (Olivier Faure), c’est un « négationniste » (Anne Hidalgo). La maire de Paris claironne même son refus de débattre avec celui qu’elle traite de « guignol« . Plutôt que se retrousser les manches et remonter la pente, elle préfère les mantras apotropaïques, piètres faux-fuyants pour éviter une prévisible mise en charpie si un tel débat avait lieu.

Même son de cloche chez EELV ou au PCF : pour Yannick Jadot, Zemmour est un « petit collabo de salon« . Plus littéraire, Fabien Roussel paraphrase Robert Merle : « La haine est son métier« . Le candidat PCF, qui s’était pourtant distingué en abordant les questions d’identité, de protectionnisme économique, et d’immigration, semble avoir mis depuis de l’eau dans son vin.

Mélenchon se distingue lui par une attitude ambivalente. Le candidat LFI avait déjà accepté un débat télévisé avec Zemmour et expliquait que l’interdiction de son meeting à Villepinte « n’est pas le principe de la démocratie« . Ses lieutenants -Alexis Corbière ou Clémentine Autain- semblent bloqués eux dans leurs réflexes : Zemmour est « haineux » (pour Corbière, cette assertion tient lieu d’argument) ; pour Autain, il faudrait même lui interdire de s’exprimer ! Mélenchon n’oublie donc pas de rassurer ses troupes lors de son meeting à La Défense : oui, Zemmour est « l’ennemi du genre humain » et veut faire de nous « la France qui a peur« . Mamma mia !

Communiqué de Clémentine Autain (capture d’écran).

À gauche, les ambitions élyséennes de Zemmour agissent donc comme une mise en lumière extrêmement crue. Incapables de se renouveler et de séduire, ces mômes sous-entendent, injurient, veulent interdire. Tout une conception de la démocratie !

Il agit, ils réagissent

Le tableau est assez clair : c’est Zemmour qui impulse la dynamique et le rythme de la campagne. Conscients que ses propos rencontrent une adhésion puissante et sans artifices à des lieues de l’enthousiasme tiède qui prévaut ailleurs, le reste de la sphère politique se cabre, séduit, crache, hésite, singe, nie, bref : adapte son comportement au trublion qui met le bazar dans la cour de récré.

Pour certains, cette adaptation prend la forme de revirements et d’atermoiements dont la sincérité paraît douteuse. Les autres préfèrent accélérer leur fuite en avant pour éviter de se demander pourquoi Zemmour trouve dans une partie du peuple une oreille si attentive. Le déni devient un délire paranoïaque.

Que l’on soit d’accord avec lui ou non, Éric Zemmour agit et les autres mômes réagissent. Il dynamite ? Ils sont en pétard.

Présidentielles 2022 : quel scénario envisageable ?

Dans environ 7 mois, les Français auront élu leur nouveau Président. Macron se succédera-t-il à lui-même ? Éric Zemmour ira-t-il loin s’il se présente ? Les partis classiques (LR, PS, etc.) vont-ils renouer avec leur lustre d’antan ? Quelles sont les chances de LFI et du RN ? Libres Paroles a demandé son pronostic à un voyant réputé !

A pair of male hands surrounding a crystal ball conjuring up a hologram on an isolated dark studio background (istockphoto)

Zemmour, l’inquiétant trublion ?

Ses livres se vendent comme des petits pains, il a fait exploser l’audimat de CNews, ses conférences et dédicaces attirent un large public, les sondages démontrent son fort soutien populaire : Éric Zemmour sera sans nul doute un acteur de taille s’il se lance dans l’arène.

S’il vise le titre suprême, l’intellectuel devra cependant conquérir un électorat LR pas toujours acquis à sa vision apocalyptique et un brin paranoïaque de la France. Il devra aussi passer du statut de chauffeur de salle à celui de candidat crédible : avoir un programme cohérent et s’entourer de personnalités expérimentées sera indispensable.

Si Zemmour est candidat, il va évidemment constituer une grande inquiétude pour les autres partis, car tout indique que contrairement à eux, il parle vraiment de ce qui intéresse les Français. Les autres candidats le savent déjà : il est aujourd’hui le seul à créer un tel engouement autour de ses idées et de sa personne.

Il devra donc faire face à des embûches sorties de nulle part et destinées à le disqualifier : affaire de viol/harcèlement/adultère (très à la mode), mauvaise déclaration de patrimoine (toujours efficace), loi rédigée à son intention pour lui interdire de concourir en raison de condamnations judiciaires (déjà évoquée), exhumation d’articles immatures écrits à 16 ans, voire menaces plus directes.

Le vent lui sera bien sûr contraire : articles médiatiques à charge, attaques en dessous de la ceinture… Une sorte de remake vaseux de Fillon 2017 en perspective !

Pronostic : échouera aux portes du second tour et deviendra un faiseur de rois à droite. S’il survit aux coups déloyaux, aura préparé 2027 avec sérieux. Un second tour par miracle ? Il aurait alors de sérieuses chances d’être élu Président.

Macron : plat réchauffé

Comme en 2017, on peut s’attendre à un Emmanuel Macron racoleur et charmeur, organisant sa campagne autour de sa personne. Lui qui voit la politique comme un simple produit à vendre à des électeurs-consommateurs va multiplier les séquences et déclarations contradictoires pour plaire à tous, sans finalement enthousiasmer personne au-delà d’un éventuel électorat de trentenaires bobos urbains. Un produit sans personnalité mais vaguement adapté à chaque public : un peu pour les jeunes, un peu pour les boomers, pour le gauchiste, et aussi pour le droitard. Quelques déclarations martiales pour dragouiller les électeurs LR, des promesses de chèques et d’assistanat pour plaire à gauche.

Pour subtiliser quelques voix à LFI, Macron ajoutera à son plat réchauffé de fortes déclarations destinées à ceux qui ont une vision communautariste de la société française. Enfin, pour contrer Marine Le Pen (qu’il essaye d’ériger par tous les moyens en adversaire majeure depuis des mois, sûr qu’il est de gagner en duel), on peut s’attendre à la carte « fascisme » et à la rhétorique de la ridiculisation (« Moi, j’ai régné, moi. Vous, vous ne savez pas ce que c’est, évidemment ! »).

La stratégie devrait être claire : LREM et les gouvernements 2017-2022 seront sans doute une soupape utile pour endosser la responsabilité de certains échecs de son quinquennat. Macron enverra ses cadres tancer les adversaires menaçants (MLP sans doute, Zemmour s’il se présente) pour garder une certaine hauteur « jupitérienne » et ne pas se salir.

Pronostic : présence au second tour, probable réélection par défaut comme en 2017.

LR : chevaux hors course

Le sort de LR semble clair. Un candidat peinant à rassembler en interne et devant incarner un parti qui fait rarement ce qu’il avait promis une fois au pouvoir, qui surfera tristement sur une vaguelette d’enthousiasme tiède. Une part de marché réduite à quelques jeunes BCBG et des boomers encore nostalgiques de Sarkozy.

Trop divisé, ce parti va envoyer au turbin un candidat sans charisme, qui va lorgner plus ou moins du côté du RN en nous gratifiant de quelques rodomontades sur l’immigration, la sécurité, et l’identité. Barnier, Pécresse et Bertrand notamment ont déjà commencé le show.

Pronostic : échec au premier tour, crise en interne, voire scission possible entre tenants d’une aile plutôt LREM et partisans d’une ligne plus « RN/Zemmour-compatible ».

La gauche trop divisée

Les différentes sensibilités de gauche (LFI, EELV, PS) ont chacune choisi un candidat… et devront se partager les voix en conséquence. Leur éclatement et leur incapacité à s’unir leur coûteront une présence au second tour. Le PS est inaudible et Hidalgo souffre de son triste bilan parisien ; LFI est divisée en interne et le despote Mélenchon fera du lèche-babouches en espérant un important vote communautaire ; EELV fera un score honorable avec un Jadot plus modéré que sa consoeur, la sorcière écolo-dingo Sandrine Rousseau. Une modération qui sera toutefois aussi son handicap pour les plus plus éminents « progressistes » de la société.

Pronostic : score faiblard pour le PS, LFI en baisse par rapport à 2017. Aucun candidat présent au second tour. EELV s’affirme comme un parti plus puissant à gauche si Jadot ne rate pas sa campagne et enfile le costume efficacement.

RN : pas de second tour ?

Le RN subit Marine Le Pen depuis trop longtemps déjà. L’inaudibilité de cette dernière et son échec en 2017 seront de graves handicaps, en plus d’une fuite éventuelle d’électeurs tentés par Zemmour ou encore Dupont-Aignan. Enfin, un nombre croissant d’électeurs RN doutent de plus en plus de sa capacité à gagner.

Les électeurs voulant exprimer un rejet en votant pour elle hésiteront au vu d’un programme économique dangereux et de ce manque de leadership. Tant mieux, car MLP est une rentière de l’opposition. C’est peut-être là sa posture idéale.

Pronostic : moins bon score qu’en 2017. Présence (et défaite en finale) au second tour très probable. Attention au Zemmour arrivant à toute blinde dans le rétroviseur : il pourrait gratter la seconde place (s’il se présente). Montée en puissance des jeunes loups du RN après l’élection, ou départ d’une partie des cadres.

Conclusion : Macron jusqu’à l’indigestion

Le grand gagnant sera donc le candidat archétypal du système, Emmanuel Macron. Peu importe le manque d’adhésion et les modalités : il devrait être élu à défaut de mieux, sans que quiconque ne croie réellement à ses diatribes et belles promesses. Gauche et droite, par leurs divisions et leur incapacité à se renouveler et donc à séduire, semblent rouler pour lui et lui faciliter le chemin.

Attention toutefois à Zemmour, s’il est candidat et franchit les obstacles qui ne manqueront pas d’apparaître comme par magie !

Résultat pour les Français : bis repetita dans la morosité. On a ce qu’on mérite : d’un pays de consommateurs peu cultivés ne peut pas émerger une offre politique de haut niveau.