Le journal dit « de droite » a suivi avec attention l’échange par médias interposés entre les patrons de CNews et France Inter… et affiche à nouveau au passage sa distance envers la radio publique en utilisant quelques procédés assez classiques. Décryptage.

L’interview de Serge Nedjar le 3 janvier au JDD n’est pas passée inaperçue. Le directeur général de CNews, qui analysait les raisons des succès d’audience enregistrés par sa chaîne l’année écoulée, en a profité pour vilipender France 2 et France Inter, coupables selon lui d’être « des médias qui censurent, qui se comportent comme des juges, qui condamnent et absolvent selon que vous êtes ou non dans leur camp« . Des propos relevés par la directrice de l’information de France Inter, Catherine Nayl. Celle-ci lui a répondu clairement quoiqu’avec courtoisie via son compte Twitter.

Une critique en 3 temps
Cette réponse de Mme Nayl sert de prétexte à Valeurs Actuelles pour critiquer à nouveau France Inter. De prétexte ? Oui, car l’hebdomadaire part de cet échange pour témoigner à nouveau son scepticisme envers la radio publique et discréditer certaines de ses pratiques. Dans son article du 3 janvier, VA utilise 3 outils pour exprimer son point de vue : 1) Le titre et la photo choisis ; 2) Le choix des mots ; 3) La sélection partiale des faits.
État = Big Brother dystopique
Dès le titre, France Inter n’est pas présentée comme une « radio publique », mais comme une « radio d’État de gauche« . Ce rapprochement constitue déjà une dénonciation : ainsi, pour VA, France Inter ne respecterait pas les obligations de neutralité politique qui s’imposent au service public de la radio et de la télévision payé par l’ensemble des contribuables. La radio serait au service d’un État identifié comme étant « de gauche » par le journal. Le lecteur reçoit alors une vision orwellienne de médias sans objectivité, simples relais serviles d’un État propagandiste.
La photo choisie alimente davantage cette impression. On y voit une immense affiche publicitaire de France Inter qui recouvre toute une façade de la Maison de la radio. L’alliance de l’immeuble d’apparence froide et bureaucratique et d’une affiche mettant en valeur deux journalistes de France Inter (Nicolas Demorand et Léa Salamé) n’est pas sans évoquer le Télécran de 1984.
Revenons au titre. En mettant des guillemets aux termes « pluralisme » et « démocratie« , qu’il emprunte au tweet de C. Nayl, VA montre également sa distance ironique avec les propos tenus. Cela renforce l’impression que la radio pèche par manque de diversité dans les opinions exprimées, et n’a pas la légitimité nécessaire pour parler pluralisme et démocratie.
Enfin, la tournure du titre (« Quand…« ) évoque une anecdote comique. Le ressort en serait la leçon donnée par France Inter à CNews, qui en soi serait absurde : VA entérine dès le titre de son article le regard ironique porté sur les pratiques de France Inter.
Nedjar « donne une interview« , Nayl « donne des leçons«
Deuxième arme utilisée par Valeurs Actuelles : les mots choisis.
Dès le chapô, on peut lire que C. Nayl « s’est attaquée au directeur général de CNews« . Le choix du verbe « attaquer » n’est évidemment pas neutre, et confère à la directrice de l’information de France Inter une attitude agressive, évidemment peu démocratique (d’où les guillemets à « démocratie » dans le titre ?).
Dans le premier paragraphe, on apprend que si Serge Nedjar « donne une interview« , Catherine Nayl elle « s’est empressée de lui donner des leçons de morale« . Agressive et sermonneuse : qui peut approuver une telle personne ? Certainement pas VA et ses lecteurs !
Citation de faits à charge pour achever la bête
La dernière partie de l’article achève elle le processus de discrédit de France Inter entamé dès le titre. VA rappelle trois « polémiques » récentes, liées aux choix publicitaires et éditoriaux de France Inter. On y esquisse une radio intransigeante avec le christianisme et les petits commerçants durement touchés par la crise sanitaire, et complaisante vis-à-vis d’opinions très « tranchantes » appelant à une censure « des gens de droite« .
Si ces trois faits et les polémiques qui s’en sont ensuivies sont bien réels, VA fait en les citant un choix : celui de mettre en lumière ce que le lecteur devine être des manquements graves à l’éthique professionnelle des journalistes et des atteintes portées à l’identité chrétienne de la France.
Conclusion : un prêche dans le désert
Valeurs Actuelles est un journal engagé, classé à l’extrême droite par bon nombre de commentateurs, dont certains de ses concurrents et détracteurs. Sa ligne éditoriale est assez marquée. Le président du comité éditorial et membre du conseil de surveillance de Valeurs Actuelles, François d’Orcival, la définit lui-même comme étant « libérale en économie et conservatrice sur les sujets de société ».
Lire VA ou s’y abonner relève donc d’un choix conscient : on le fait parce que l’on adhère à sa ligne éditoriale. À travers cet article, le journal met en pratique un poncif de la rhétorique : la nécessité pour l’argumentateur de connaître son auditoire afin de persuader. Cet article n’est pas destiné à faire changer d’avis les thuriféraires de France Inter, mais probablement à conforter l’opinion qu’en ont les lecteurs de VA. Il s’inscrit dans une sorte de croisade plus globale, France Inter étant régulièrement critiquée par VA (ici donc, mais aussi ici, ici, ici ou là, par exemple). Une sorte de prêche dans le désert, donc.