Réflexion sur les panneaux féminisés à Genève et ailleurs

L’initiative avait été abondamment relayée par les médias en janvier 2020. Pour « améliorer la place des femmes dans l’espace public », la maire de Genève décidait le déploiement de 6 nouveaux panneaux de signalisation. Encore une fois, les représentations et les fantasmes idéologiques ont pris le pas sur le bon sens commun. Explications.

Le Progrès est en marche…

À la mi-janvier 2020, des médias d’actualité suisses, français, européens, et même américains, s’extasient. La ville suisse de Genève « passe de la parole aux actes » pour « accroître la visibilité des femmes dans l’espace public ». Lutte contre le harcèlement sexuel ? Contre les femmes battues ? Pour l’égalité salariale ? Mieux : Sandrine Salerno, la maire de Genève notoirement connue pour son action de lutte contre l’homophobie et le sexisme, annonce en grande pompe la mise en place de 6 nouveaux types de panneaux de signalisation routière.

… et s’affiche sur des panneaux « féminisés »

Leur originalité : au lieu de la traditionnelle silhouette neutre traversant un passage piétons, ces panneaux représentent désormais… des femmes ! Assurément encore une victoire de fond pour les partisans du Progrès éclairé. Ni une ni deux, 250 de ces panneaux « couvrent désormais la moitié des panneaux où étaient représentés des personnages masculins », annonce fièrement le communiqué de la Ville, qui précise : « Ce projet de féminisation de panneaux routiers s’inscrit dans le cadre de la politique de promotion de l’égalité entre femmes et hommes et contre les discriminations LGBTIQ de la Ville de Genève. »


Les panneaux du progrès : une femme enceinte, une silhouette âgée de sexe indéfini, deux femmes se tenant par la main, une femme à la coupe afro, une femme portant une queue de cheval, et une femme plus corpulente en robe.

Face à une si grande volonté (mener deux combats de front ainsi !) et à une opiniâtreté sans failles, on ne peut que s’incliner. Et pourtant, un rabat-joie digne de ce nom pourrait formuler quelques critiques.

C’est beau et bon, mais…

Il pourrait se rappeler que la démarche poursuit aussi l’objectif de « favoriser le sentiment de légitimité de chacun et chacune dans l’espace public ». En poursuivant dans cette voie, il pourrait s’indigner. Pas de silhouette de nain ! Pas d’homme barbu ! Pas de punk à crête ! Pas d’homme en djellaba ! Pas de femme en burka ! Aucun cul-de-jatte ! Zéro culturiste ! Nulle joggeuse ! En fait, « chacun et chacune » ne sont pas représentés sur les panneaux. La Ville de Genève vous ment.

… pourquoi s’arrêter en si bon chemin ?

Mme Salerno, pourquoi vous arrêter en si bon chemin ? Si l’on suit votre démarche, chaque personne devrait avoir un panneau à son effigie. D’après vous, cela l’aiderait à se sentir légitime dans l’espace public. Cette démarche part donc bien d’une espèce de paternalisme dégoulinant, typique du Progrès : les gens sont des victimes qui ont peur de tout, il faut de grands esprits pour les aider et les protéger. Les panneaux sont leurs lances affûtées dans la guerre contre les forces rétrogrades du Vieux monde.

Et la sécurité routière finalement ?

Autres victimes sacrifiées sur l’autel de l’inutilité : la clarté des panneaux de signalisation, donc la sécurité routière ! La vilaine silhouette nauséabonde, genrée et patriarcale qui illustrait les panneaux jusque-là avait quand même plusieurs avantages. Elle était simplifiée à l’extrême, montrant clairement les parties élémentaires du corps humain communes au plus grand nombre : tête, tronc, deux bras et deux jambes. Contrairement à ce qu’on pourrait croire en écoutant Sandrine Salerno, aucun pénis ni aucune barbe ne permettaient de présumer du genre de cette représentation.

Les nouveaux panneaux ne se contentent pas de montrer une silhouette humaine : ils en indiquent la coupe de cheveux, le style vestimentaire, et même certains accessoires comme une canne. Un automobiliste passant par là trouvera sans nul doute très utile de constater tous ces détails. Savoir qu’un piéton a les cheveux longs ou porte un manteau vous permet d’adapter votre vitesse et d’éviter des accidents, c’est évident.

Le but fondamental d’un panneau de signalisation routière est indiqué dans son nom. Rappelons ici une définition du mot « signalisation » : « Emploi et disposition des signaux destinés à assurer la sécurité et la facilité de la circulation ». En faisant du panneau un symbole dans la lutte contre les discriminations LGBTIQ, la Ville le détourne de sa fonction première. Un mauvais esprit pourrait penser qu’à Genève, la représentation du sexe d’une personne est plus important que la sécurité des usagers. Heureusement, le fond bleu et la forme triangulaire demeurent identifiables. La perte de clarté de l’information du panneau est compensée pour l’instant par son allure générale. Nous attendons encore les revendications de la secte du fond vert et de l’église du passage piétons arc-en-ciel.

Le progrès low cost : mener une « lutte » avec des panneaux de signalisation

Si j’étais discriminé en raison de mon orientation sexuelle, et qu’un interlocuteur me proposait de faire de nouveaux pochoirs sur des panneaux pour lutter contre ces discriminations, je pense que je me sentirais méprisé.

Dans cette affaire, l’emphase de la communication de la Ville et l’enthousiasme médiatique contrastent péniblement avec les faits : si lutte il y a, les panneaux sont vraiment un moyen misérable et inapproprié pour la mener. Une intervention à l’ONU ? Une loi volontariste ? Une politique de fond ? Sandrine Salerno a un autre standing : elle mène ses luttes avec des panneaux. Avancée sociale et réduction des discriminations : zéro. Tintamarre médiatique : + 1 000.

Rappel : la situation des homosexuels en Suisse

Last but not least, on pourrait aussi se demander si la « lutte contre les discriminations LGBTIQ » est un sujet préoccupant en Suisse. Le pays du chocolat est-il à ce point délétère pour les homosexuels ? En un mot : non. Le peuple suisse lui-même a approuvé à la majorité en 2005 le partenariat enregistré, devenant ainsi le premier pays au monde où le peuple a reconnu les couples homosexuels. Le Code pénal suisse s’est même enrichi en février 2020 d’un nouvel article interdisant et condamnant l’homophobie.

Factuellement, être homosexuel en Suisse ne vous coûte ni la vie ni la liberté. Alors, tout cela était-il bien utile ? Aux contribuables genevois d’en décider : ils ont payé 56 000 francs suisses (soit presque 53 000 €) pour ces panneaux. La lutte pour le Progrès n’a pas de prix.

Arrêts de bus à la demande : le renoncement permanent du politique

Le jeudi 28 mai, Marlène Schiappa lançait son « plan Angela », destiné à lutter contre le harcèlement de rue. Encore une fois, l’action politique a pour but de réduire ou d’invisibiliser une conséquence d’un fait, sans s’attaquer à ses causes. Le renoncement est devenu sous Macron un acte politique comme les autres.

Rappel des faits

La Secrétaire d’État à l’égalité femmes-hommes est capable du bon comme du mauvais. Si son plan Angela témoigne d’une volonté louable de la part de l’État de prendre en charge la question du harcèlement de rue, les moyens déployés semblent ridicules eu égard aux causes et à l’ampleur du sujet.

Un plan en 6 volets

Parmi les 6 volets de ce plan, l’une des mesures prévues est la « généralisation des arrêts à la demande » pour les femmes. Une autre prévoit la création de « lieux labellisés » dans lesquels les femmes « pourront rentrer » et « se sentir en sécurité », dixit, notre sémillante Secrétaire d’État. Mais si c’est louable comme vous le dites, pourquoi râler contre ces mesures ?, me direz-vous ?

Le plan Angela valide l’insécurité des rues…

La réponse est simple. Ce qui est inquiétant, c’est que vous ne la connaissez pas encore.

Si l’on entérine la création de lieux dédiés à la sécurité des femmes par exemple, on accepte implicitement aussi deux faits qui semblent justement totalement inacceptables. Par ce plan, le gouvernement valide officiellement la vision selon laquelle les femmes ne sont plus en sécurité aujourd’hui dans les rues de France. Il leur faut donc des lieux réservés pour se sentir en sécurité. En France, en 2020, dans le pays des droits de l’homme (oui oui, sans majuscules), cela fait franchement tache. Bientôt une société séparée en fonction des sexes ?

… et entérine l’absence totale de solution à ce problème

Avec « Angela », Mme Schiappa envoie aussi un message clair : jamais ce gouvernement ne s’attaquera aux causes du problème (les harceleurs). Il se contentera d’écoper ce qui déborde. Pas de réparer le trou béant dans la coque du navire France, qui tient depuis des années davantage du rafiot rafistolé que du paquebot de luxe.

Les harceleurs sont en sécurité partout, eux !

Alors oui, ce plan prévoit aussi par exemple la possibilité d’une comparution immédiate pour les harceleurs. Seulement, au vu des décisions de justice rendues pour des cas similaires, on peine à comprendre en quoi cela va changer la vie d’une victime présumée. Qu’il soit officiellement libre maintenant ou dans 6 mois, cela ne change pas grand-chose.

L’autre aspect de ce harcèlement de rue est son augmentation notable : il grimpe en flèche sur tout le territoire. À titre d’exemple, d’après l’officine politique menée par Marlène Schiappa elle -même, 100 % des utilisatrices des transports en commun franciliens ont été victimes au moins une fois dans leur vie de harcèlement sexiste ou agressions. C’est dire l’ampleur de la tâche !

Ne rien voir, ne rien entendre, ne rien dire…

Comme d’habitude depuis 2017 et même avant, nos propres élus font leur la doctrine des Singes de la sagesse : « Ne pas voir le Mal, ne pas entendre le Mal, ne rien dire de Mal ». En attendant, quand le renoncement et la bobologie deviennent des moteurs essentiels de l’action politique, le vrai Mal, lui, progresse. Mais ça, Marlène Schiappa l’ignore. Elle a sans doute ainsi l’illusion de faire quelque chose d’utile.