Le premier film Pixar dont le héros est noir, une avancée dans la représentation de ce qu’on appelle les « minorités » ? Pas tant que ça pour la rédactrice en chef de Madmoizelle.com. Dans un article paru le 7 janvier, Mymy Haegel se demande en effet « pourquoi les personnages noirs de Disney/Pixar ne restent-ils jamais humains ? ». Une question qui restera sans réponse, et permet à la journaliste d’enchaîner contresens et paradoxes.

L’article part du postulat selon lequel les personnages noirs de Disney/Pixar ne restent « jamais humains« . Mais l’auteur n’y répond pas à la question qu’elle pose. Tout au plus fait-elle le rapprochement avec La Princesse et la Grenouille, dans lequel l’héroïne noire, Tiana, prend la forme d’une grenouille pendant une bonne partie du film. Elle finit même par concéder que « tous les personnages racisés ne subissent pas le même destin » dans les films d’animation. Poser une question et produire une réponse qui démontre la vacuité de cette question : logique implacable.
En passant au crible des interviews du coréalisateur Kemp Powers, accessoirement afro-américain, on constate que celui-ci parle de beaucoup de choses, mais pas de la couleur de peau de son personnage. Il n’en fait visiblement pas un choix militant, contrairement à plusieurs médias ayant dédié un article au film. Pour Powers, le film parle du fait qu’on est « en train d’improviser notre vie, qu’on ne suit pas un scénario« .
Dans une interview à Slate, il exprime même un point de vue totalement différent de Mymy Haegel : « I think that you can always find that the themes of the film, the themes of any film like this, know no race » (« Vous pouvez toujours savoir que les thèmes abordés par le film, les thèmes abordés par n’importe quel film comme celui-ci, ne connaissent pas la race« ). Et de préciser : « You don’t have to be a Mexican to enjoy Coco. You don’t have to be Italian to enjoy The Godfather. You shouldn’t have to be Black to enjoy Soul. » (« Il n’est pas nécessaire d’être Mexicain pour apprécier Coco, ou d’être Italien pour apprécier Le Parrain. Vous n’avez pas à être noir pour aimer Soul. »).
Une vision plutôt centrée sur l’histoire, l’au-delà et le jazz, donc. Et un bel universalisme, en prime.
Le coréalisateur, moins racialiste que Madmoizelle…
Les considérations narratives et esthétiques du film de Kemp Powers contrastent étrangement avec celles, racialistes, de Madmoizelle, qui refuse de voir qu’un film peut simplement être un objet de distraction et non pas un manifeste en images dès lors qu’un personnage noir y apparaît.
Mymy Haegel enchaîne alors les généralisations dans son article, réduisant à plusieurs reprises tous les individus noirs à un groupe uniforme pouvant s’identifier à un seul personnage : « Soul est aussi l’occasion de permettre à tout un public, sévèrement sous-représenté dans le cinéma d’animation, de se reconnaître dans un héros qui leur ressemble : Joe Gardner. » Exit les disparités géographiques, économiques, musicales même.
Si elle nuance avec justesse son propos en expliquant que « les personnes appartenant à des minorités sociales méritent de ne pas se voir représentés que par le prisme des discriminations qu’elles subissent« , elle estime que « le long-métrage aurait pu représenter une réalité plus proche de la vie des vrais hommes noirs dans le New York du XXIe siècle. » Vous ne rêvez pas : une Française blanche diagnostique que ce film ne représente pas la vie des « vrais hommes noirs » de nos jours à New-York. Attention à l’appropriation culturelle ! Si Mymy Haegel connaissait un peu la vie des hommes noirs new-yorkais, elle se rendrait sans doute compte qu’il existe autant de parcours différents que d’hommes, fussent-ils noirs ou blancs.
… qui se fond dans l’air du temps sans plus de réflexion
Finalement, le point de vue développé par l’article reprend tous les clichés du courant bien mal nommé « progressisme« , autrement dit le racisme moderne, mais au nom du Bien.
Interviewée dans l’article, la critique de films et journaliste Claire Diao ne répond pas non plus à la question posée par le titre de l’article. Ce dernier est un prétexte pour débiter encore une fois la vulgate victimaire et ressasser son obsession pour la couleur de peau des gens. La franco-burkinabé croyait « voir un film sur les afro-américains, avec de la musique afro-américaine, des voix afro-américaines, des éléments de la culture afro-américaine » ? Elle se rend compte qu’au final, « ce n’est pas la direction du projet. » Eh oui : les films avec des personnages noirs peuvent faire mieux que simplement « célébrer l’expérience d’un homme noir et se focaliser sur ses rêves, ses désirs« . Des hommes noirs peuvent aussi connaître de merveilleuses aventures dans des fictions animées.
Pour Claire Diao, « quand les personnages racisés perdent leurs identités, le public perd une opportunité d’absorber des leçons importantes et d’observer d’autres réalités. » Quelles réalités ? Mais « le racisme ou le sexisme systémique« , pardi ! La critique de films égrène sa doxa, complaisamment recueillie par Mymy Haegel : on ne peut parler des noirs sans parler du racisme dont tous seraient victimes. L’idée de noirs dirigeant leur vie comme des adultes est inaccessible à certaines personnes. Et de s’adonner à un vague exercice de comptage de films d’animation contenant des personnages noirs, aussi gênant que celui réalisé par Aïssa Maïga lors de la soirée des Césars en 2020.
L’habileté de la journaliste et de l’interviewée, c’est qu’elles savent très bien que ce racisme se fond parfaitement dans l’air du temps. Si l’on remplaçait le mot « noir » par « blanc » dans leurs phrases, beaucoup de gens seraient choqués -à juste titre.
Conclusion
Finalement, l’article de Madmoizelle ne répond pas à la question qu’il pose ; présente des questions et enchaîne des réflexions authentiquement racistes ; recueille uniquement les propos de tenants du « progressisme », sans opinion divergente.
En somme, cet article souffre d’un angle peu pertinent, d’une absence de contradiction (ou de trop grandes contradictions, par exemple avec les propos de Kemp Powers lui-même), et d’une trop grande proximité avec des thèses répandues et prémâchées.
Les avis avant les faits, et peu importe le rapport entre les deux.
N.B. Nous prenons ici l’acception du mot « racisme » le définissant comme une « idéologie fondée sur la croyance qu’il existe une hiérarchie entre les groupes humains, les « races »« . Interviewés et auteur valident tout au long de l’article la théorie de la hiérarchie entre les races : les blancs au dessus car dominants, les noirs victimes des premiers.