Le média financé par la Russie fabrique l’opinion publique, et il est en pleine ascension
Entre propagandiste subtil, média doté d’une ligne éditoriale marquée, et organe d’influence politique, RT suit l’actualité pour mener une guerre informationnelle au service des intérêts russes. En France, son succès va croissant. Il s’explique surtout par l’incapacité d’un personnel politique pour le moins timoré à produire une vision du monde cohérente et fédératrice. Analyse.

« Hypocrisie » : pour qualifier la réaction américaine au tir de missile antisatellite russe, Sergueï Lavrov ne mâche pas ses mots. Cité dans un article de RT France, le ministre russe des Affaires étrangères enfonce le clou : Washington « développe une course aux armements très activement » et refuse de signer un traité visant à empêcher le déploiement d’armes dans l’espace.
Cet article, le seul paru sur le site de RT France sur le sujet à ce jour, illustre à lui seul les axes de la stratégie d’influence du média.
Montrer un État incohérent…
Un des axes de cette stratégie consiste à souligner les défauts du personnel politique au pouvoir. Macron annonce que le pass sanitaire sera conditionné à une troisième dose vaccinale pour les plus de 65 ans ? RT France exhume des propos de son ministre de la Santé datant du 26 août dernier et assurant qu’il n’y aurait « pas d’impact de la troisième dose sur le pass sanitaire« . On a déjà vu plus limpide! Sur la photo, Olivier Véran, qui ne porte pas de masque, se tripote le menton d’un air gêné (et les gestes barrière ?).
Macron défend la liberté d’expression ? « En même temps« , RT indique que « l’Élysée aurait interdit aux ministres tout débat avec Zemmour avant sa candidature« . Il aime la liberté d’informer ? « En même temps », il qualifie RT « d’organe de propagande mensongère » (des propos qui « soulèvent des inquiétudes« , selon Xenia Fedorova, Présidente de RT France) et interdit à ses journalistes l’accès à l’Élysée. Drôle de démocratie…
Le Français moyen retiendra l’absence de congruence entre les paroles et les actes des dirigeants français, qui donne l’impression d’une trahison permanente de la part des élites.
… et un pouvoir faible déclenchant la colère de son peuple…
Les snipers russes insistent aussi sur la lâcheté et les renoncements de l’État, qui confèrent un sentiment de toute-puissance aux délinquants. RT montre comment ces derniers n’hésitent plus à s’en prendre aux représentants de l’ordre dans la rue et même dans les commissariats de police.
La France souffre de la comparaison avec d’autres pays, qui apparaissent plus déterminés pour régler la crise migratoire ou combattre le fondamentalisme islamiste. Même le dossier des licences de pêche post-Brexit tourne au désavantage de Paris, qui « se défend de capituler » ! Un choix de mots pas anodin, qui évoque un perdant misérable refusant de reconnaître une défaite malgré l’évidence.
RT couvre aussi abondamment les mouvements sociaux de contestation, par exemple contre le pass sanitaire : ici ou là). On perçoit un État incapable de contenter son peuple à longueur de paragraphes : l’effet de halo fonctionne à plein. Logiquement, cette veulerie du pouvoir déclenche sa substitution par des personnalités ou des citoyens qui s’organisent pour lutter contre l’insécurité ou la pauvreté.
Le modèle de société et la vision du monde occidentaux apparaissent eux vides de sens, puisque leur incarnation semble être l’apparition d’un genre neutre sur les passeports ou l’immoralité. L’intérêt de RT pour les errements « progressistes » a pour but de les faire apparaître pour ce qu’ils sont : des broutilles insignifiantes, le monde vu par le petit bout de la lorgnette.
La France est présentée de façon péjorative ; RT en fait un portrait décadent et apocalyptique, notamment grâce à un choix opportuniste de sources servant ses objectifs.
… pour souligner la force du modèle russe !
RT France joue sur la défiance du peuple envers les « élites » et les médias traditionnels, sur l’aspiration à des leaders autoritaires, et sur l’absence de transcendance (fût-elle morale, politique, ou culturelle).
Le média y oppose en creux une vision bien plus séduisante, solide, et visionnaire : celle de Moscou. La Russie semblant comprendre que la guerre a évolué en des formes moins directes utilisant l’information comme soft power, la subtilité du média consiste à ne pas défendre agressivement les intérêts de Moscou à l’aide de scribouillards bellicistes, mais à susciter l’adhésion par démonstration.
« Nous travaillons pour l’État, nous défendons notre patrie, comme le fait par exemple l’armée«
Margarita Simonian, rédactrice en chef de RT
La tentation tsariste n’étant jamais loin, Vladimir Poutine apparaît comme un homme fort, à la fois juge de paix et rival lucide. Il provoque une crise de l’énergie ? RT France balaye ces doutes et le présente comme un partenaire commercial lucide et de bonne volonté.
Des experts et responsables politiques l’accusent d’avoir « une responsabilité claire » dans la crise migratoire biélo-russe (Liz Truss, ministre britannique des Affaires étrangères), voire « d’utiliser des flux migratoires » pour « influencer les relations bilatérales » (Edward Lucas, spécialiste de la politique étrangère russe) ? RT préfère fustiger « la responsabilité de l’Occident dans l’exode de populations« … et montre l’efficacité de Minsk, qui « annonce un rapatriement de migrants vers l’Irak« … Poutine : 1, Occident : 0.

L’Occident semble faible et déchiré ; la Russie apparaît article après article comme un acteur géopolitique fort et incontournable dans les relations internationales, dont la realpolitik assumée ne s’embarrasse pas de scrupules de façade (puisque ceux qui en ont mentent ou y renoncent).