Idéologie forcenée ou peur des racailles ? Certains médias et responsables politiques ont des priorités pour le moins étonnantes, qui révèlent une tension sociale exacerbée autour de certains sujets.

Il conduisait un fourgon fraîchement volé [1], a refusé d’obtempérer lors d’un contrôle de police, et aurait tenté de percuter un fonctionnaire de police en voiture . Ce dernier a ouvert le feu et grièvement blessé le suspect dans des circonstances encore « floues » (d’après le parquet de Bobigny). Résultat : l’homme est mort dans l’après-midi du samedi 26 mars.
Les conséquences de cet évènement sont malheureusement prévisibles : des voyous ont saisi l’occasion pour affronter les policiers trois nuits de suite. Véhicules incendiés (dont un bus volé par une cinquantaine de personnes munies de barres de fer), barricades enflammées, jets de projectiles sur les forces de l’ordre [2]…
Les réactions à chaud de certains acteurs politiques ou médiatiques sont préoccupantes. C’est le moins que l’on puisse dire.
Appel à l’émotion, minimisation de la délinquance…
Dimanche 27 mars, AJ+ France diffuse sur Facebook une vidéo de 59 secondes intitulée « Des tensions sont survenues hier soir à Sevran après le décès d’un père de famille tué par la police quelques heures auparavant« . Un « père de famille » : cette qualification, sans doute réelle, sert ici évidemment à susciter l’empathie. On imagine une femme et des orphelins éplorés (ce qui est sans doute le cas aujourd’hui). En jouant sur le pathos, AJ+ brouille son audience : ce n’est pas parce qu’il était un père de famille qu’il est mort, mais parce qu’il a refusé d’obtempérer et a semble-t-il tenté de percuter un fonctionnaire.
Non content d’appeler à l’émotion des gens qui suivent ses messages sur les réseaux sociaux (c’est le pire moyen de penser des faits graves, au passage), AJ+ minimise les débordements constatées en Seine-Saint-Denis, en évoquant des « tensions », alors que les images montrent des policiers visés par des tirs de mortiers et de projectiles. Les termes émeutes (Larousse : « soulèvement populaire, explosion de violence ») ou « sédition » (« soulèvement concerté contre l’autorité établie ») seraient plus adéquats, puisque les émeutiers agissent contre les représentants de l’État et se concertent.
AJ + minore donc certains faits, soit pour ne pas stigmatiser les fauteurs de troubles (qui le font très bien tout seuls), soit par respect d’une ligne éditoriale partiale prédéterminée qui accorde davantage le bénéfice du doute aux « jeunes des quartiers » de nos banlieues. Deux hypothèses aussi plausibles l’une que l’autre, au vu de la ligne éditoriale du média qui reprend à peu près tous les codes de la victimisation des quartiers et des musulmans sous couvert d’être un “média inclusif qui s’adresse aux générations connectées et ouvertes sur le monde“. Leur traitement partisan de certains sujets comme l’ « islamophobie » (non reconnue par l’UE), ou encore le conflit israëlo-palestinien sont déjà bien documentés.
… mues par la peur ?

Le maire de Sevran Stéphane Blanchet a lui fait montre d’une réaction empressée. Son communiqué du 26 mars (le jour même de l’évènement) vise en fait à donner des gages de bonne volonté à ceux qu’il sait largement capables de créer des émeutes : empathique, il évoque « un Sevranais » qui était « père de famille« , évoque des « circonstances dramatiques« , indique qu’une « enquête est en cours » et que ses « premières pensées vont à sa famille« . Enfin, il anticipe le prétexte futile de probables émeutes (« la douleur« ) et appelle au calme.
Il est évident que de tels appels au calme de la part d’un édile seraient complètement loufoques dans bien d’autres villes où les émeutes ne sont pas un passe-temps habituel. Mais nous sommes à Sevran et le maire sait sans doute que voyous et délinquants ont un grand pouvoir dans sa ville. Il connaît la violence de leur mode d’expression et les prétextes qu’ils utilisent pour s’y adonner. Sa réaction peut donc être interprétée comme la démonstration de sa crainte de représailles contre les services publics de sa ville et de la connaissance qu’il a des modes d’action de certains de ses administrés. C’est quoi qu’il en soit un terrible aveu de faiblesse. Députée LFI, Clémentine Autain signe un communiqué de la même teneur le même jour, qui témoigne du même état des lieux : un « père de famille » est mort, c’est un moment de « douleur », elle présente toutes ses « condoléances » aux proches et à la famille, mentionne l’enquête en cours, et conclut en indiquant que « l’heure doit être à l’apaisement et au recueillement ».
Notons dans cette affaire que si le suspect est systématiquement humanisé, le gardien de la paix reste invariablement « un policier » ou « un fonctionnaire de police ». Personne ne s’est demandé s’il était un grand frère, un mari ou un père ! Seul l’un des deux protagonistes a droit à cette attention. Pourtant, d’après Le Monde, le policier a été hospitalisé en état de choc après les faits [3].

Des divisions graves en France
Résumons : d’un côté, un fonctionnaire de police dont l’enquête de l’IGPN en cours dira si l’usage de son arme à feu était légitime. De l’autre côté, un homme dont le comportement suspect et les choix l’ont mené à la mort. S’il ne faut jamais minimiser la mort d’un homme, rappelons aux belles âmes promptes à s’indigner qu’il aurait pu faire pléthore d’autres choix qui lui auraient été plus favorables.
Les leçons à retenir de ce sinistre épisode ? Des responsables politiques de terrain connaissent parfaitement la violence des racailles envers tout ce qui représente l’État et la France. Ils la redoutent, peuvent la minimiser et tentent de passer de la pommade. Ils n’ont pas compris que cette commisération surjouée est une erreur, notamment lorsqu’elle s’adresse à des jeunes hommes peut-être majoritairement issus de cultures dans lesquelles la force est respectée et la faiblesse méprisée. Sans surprise, Al Jazeera nous donne à voir une inquiétante lecture victimaire de faits bien sélectionnés, ajoutant de l’huile sur le feu.
Le vivre-ensemble, cette notion ânonnée par beaucoup à tout bout de champ, s’effondre vite au contact d’un réel dur et inquiétant. Certains évènements sont des prétextes pour poursuivre un affrontement larvé qui dure depuis longtemps en France. Il suffit de lire quelques commentaires sous la vidéo d’AJ+ pour s’apercevoir que la France ne sait même plus faire respecter son intégrité, suscite la méfiance, voire est vue comme une ennemie. “Je peux conclure l’enquête de l’IGPN : non-lieu“, ironise un internaute. Un autre demande “que les quartiers se soulèvent“, un troisième estime que la police “veut la guerre” et l’aura “bientôt“, précisant “on a la haine contre eux“.
Sommes-nous encore une République indivisible ? On peut franchement en douter.
