Quand Emmanuel Macron réconforte Kylian Mbappé

Après la défaite française en finale de la Coupe du monde 2022 face à l’Argentine, une courte séquence a été diffusée sur YouTube. Elle montre le président français réconforter l’attaquant star du PSG. Comme on ne dédaigne pas le langage corporel sur Libres Paroles, en voici un décryptage rapide.

Officiels, agents de sécurité et journalistes ont envahi la pelouse après le coup de sifflet final. L’Argentine remporte sa troisième Coupe du monde, la France termine deuxième malgré une belle remontée. Assis sur le gazon, le héros français du soir broie du noir, lui qui a pourtant inscrit un triplé pour maintenir son équipe à flot durant la partie.

C’est alors qu’arrive Emmanuel Macron, par derrière ; Kylian Mbappé ne le voit pas arriver. Macron penche la tête comme pour chercher l’expression de Mbappé, geste typique de sollicitude. Puis il se penche et approche son visage jusqu’à toucher celui de Kylian, lui posant une main paternelle et réconfortante sur la nuque. C’est vrai, ce Président-là est toujours très tactile, particulièrement lorsqu’il interagit avec des hommes jeunes.

Le joueur, qui faisait mine de se relever, reprend sa pose neutre, bras croisés autour des jambes. La fonction de président de la République semble à ce point désacralisée -ou l’éducation et le respect du plus grand nombre défaillante- que Mbappé ne juge pas à propos de se tenir debout en présence de Macron, quoi qu’on pense de celui-ci. Il ne sourit pas, ni ne répond aux propos du Président.

Macron resserre alors son étreinte : il se met dans l’axe du regard de Kylian, s’agenouille, et resserre son étreinte : à la main sur la nuque s’en ajoute une posée sur le bras gauche du joueur. Il lui tapote le dos. L’attaquant pince la bouche obstinément. Le contact visuel n’est pas mutuel : Macron le regarde dans les yeux, Mbappé l’évite dès le début de la séquence. Émotion et tristesse dues à la défaite ?

Et Martinez arrive…

Peut-être. Peut-être pas. En tout cas, le contraste est flagrant avec l’arrivée du gardien de but argentin, venu lui aussi prodiguer quelques mots réconfortants à Mbappé. Ce dernier lève le visage vers le portier et croise son regard avant de retomber dans son mutisme compréhensible. Macron n’y a pas eu droit !

Autre différence : le contact tactile est mutuel entre les deux joueurs de foot. L’argentin tend deux fois sa main, et Kylian la saisit deux fois, acceptant même l’aide de Martinez qui l’aide à se remettre debout. La présence de Martinez isole Macron, qui n’est toujours pas en face de Mbappé. Le corps de Macron est tourné vers l’auteur du triplé, mais c’est Martinez qui est en face de Mbappé.

Kylian va même jusqu’à prodiguer une caresse à Martinez, semblant le remercier silencieusement pour ses mots de réconfort. Sentant sans doute qu’il n’est pas dans son élément, Emmanuel Macron se relève avec la bouche figée dans la mimique du parent qui comprend la déception de son enfant, mais considère sa douleur comme un apprentissage nécessaire de la vie : « Allez mon p’tit, courage !« .

Les deux joueurs se touchent, habitués au contact physique du vestiaire, du terrain, des contacts et des célébrations. Mais Macron pose toujours sa main sur Mbappé, sans réciprocité.

Dans cette séquence, le président start-upper n’aura pas eu un regard ou un geste de l’attaquant français. Alors, désintérêt pour le politique ; ou bien déception compréhensible ? Mais dans ce dernier cas, pourquoi alors le portier argentin a-t-il droit à une interaction mutuelle avec Mbappé ?

À vous de regarder la séquence et d’interpréter les comportements ! Si vous voulez commencer avec un exercice facile, vous pouvez analyser cette autre photo du gardien argentin prise hier soir…

Le gardien argentin Martinez et son gant d’or…

Les influenceurs, ou la modernité du dinosaure

Ils ont éclos en utilisant des moyens modernes de communication (YouTube, réseaux sociaux, analyse de données), mais promeuvent des pratiques et comportements d’un autre âge…

Capture d’écran francetvinfo.fr

Prenons le top 3 des Youtubeurs français en 2022 : Squeezie organise une course automobile sur le célèbre circuit du Mans avec 21 autres « célébrités du net » ; Norman Thavaud (Norman fait des vidéos) vient de sortir de garde à vue dans le cadre de l’enquête le visant pour « viol et corruption de mineur » ; Cyprien a publié le 6ème épisode (6 !) de sa série « Les pubs vs. la vie« , dans laquelle on peut voir un certain nombre de marques.

Engins polluants, histoires de cul, omniprésence de matériel et de marques, arnaques : les stars de la génération née après 2000 n’ont rien inventé. Harvey Weinstein, placements de produits, matérialisme exacerbé : tout cela existait bien avant eux. À certains égards, ils ne sont que les continuateurs d’un monde dont bien des aspects sont discutables. Drôle de paradoxe de la part de la « nouvelle génération » !

Des VRP au rabais : le consumérisme, coûte que coûte !

L’influenceur, tel que le définit Larousse, est une « personne qui, en raison de sa popularité et de son expertise dans un domaine donné (mode, par exemple), est capable d’influencer les pratiques de consommation des internautes par les idées qu’elle diffuse sur un blog ou tout autre support interactif« . Une définition qui inclut la plupart des influenceurs, y compris ceux qui ne savent rien faire (montrer ses fesses ou vendre ses pets ne requiert aucune compétence). Qu’ils parlent de jeux vidéo, de mode, ou d’autre chose, la plupart des influenceurs ne sont rien d’autre que les VRP d’entreprises plus ou moins connues.

Le modus operandi est le suivant : se faire connaître (créer l’image et le marché), puis nouer des partenariats (contractualiser) avec des marques, et enfin vous refourguer la camelote : pizzas, produits de maquillage, vêtements, parfum, services web, etc. En somme, des pratiques commerciales antédiluviennes pour esprits incapables de faire la part des choses entre la réalité et l’image qu’on renvoie.

Zoom sur les influencés

Parmi ces influencés, on peut imaginer deux moteurs majeurs les poussant à suivre untel ou unetelle. Le premier, c’est la part de rêve : quand n’importe quelle greluche (quel que soit son sexe) arrive à se faire filmer dans des habitations luxueuses, au volant de véhicules rares, portant des vêtements de grand couturier, les plus jeunes fantasment devant l’opulence et les paillettes. Oui, une vie de luxe est facile ! Oui, l’argent peut tomber du ciel sans faire d’efforts ! Oui, je peux m’incarner dans ce physique de rêve ! Et tant pis si tout est loué ou prêté temporairement par des marques intéressées par leur visibilité commerciale : l’essentiel est de donner la part de rêve.

Deuxième moteur possible, l’identification. Les influenceurs savent créer une connivence aussi naturelle que factice : autodérision, tutoiement, vocabulaire simple mêlant français, franglais ou arabe, vêtements sportswear et meubles Ikea comme tout le monde, évitement des sujets de fond (société, politique), … Des égéries cool, qui ressemblent à ce que vous connaissez déjà ! Naît alors une forme de confiance, condition indispensable à l’influenceur pour gagner sa vie : ce produit est génial ! Clique sur ce lien, tu verras ! Je suis jolie, mais je suis proche de toi : j’utilise juste des astuces simples, comme ce fond de teint !

Les influencés sont pourtant les dupes de personnes qui connaissent bien les règles du jeu, et gagnent leur vie de ce qu’ils font. En fait, ils payent le salaire de leurs chouchous en cliquant sur des liens, en rentrant les bons codes promo, ou en achetant des produits parce qu’ils n’ont pas fait la distinction entre publicité et création artistique.

Mêmes marionnettistes, mêmes ficelles, mêmes marionnettes

Comment alors des influenceurs jeunes peuvent-ils bénéficier d’une aura « jeune », « cool », « hype », « branchée », et autres adjectifs flatteurs ? Ils ne sont bien souvent que l’adaptation d’une vieille industrie aux codes dominants, codes définis à la fois par les mœurs de l’époque et la technologie. Une industrie qui veut toujours vous vendre des merdes manufacturées à bas coût dont vous n’avez pas besoin. Une industrie qui vous parle de « responsabilité » et de « protection de l’environnement » le cœur sur la main, tout en vous vantant des trajets dans un avion plein de kérosène pour aller prendre les mêmes photos que les autres Instagramers aux mêmes endroits. On a le prestige social qu’on mérite, et tant pis si cela endommage le lieu en question à force de surfréquentation (Santorin, Machu Picchu, etc.).

Une industrie qui n’a pas changé son logiciel depuis qu’on a compris que le sexe est un des moteurs puissants de l’humanité quand il s’agit de vendre n’importe quoi. Finalement, les fashionistas à la vulgarité outrancière et agressive se servent de leurs seins et de leurs fesses pour vendre : rien n’a changé, sauf que l’élégance et la subtilité ont disparu. Tant pis s’il est de mauvais ton de le dire. On arrive ainsi à lire des curiosités : dernièrement, Le Figaro Madame nous a gratifié d’un article sur la supporter croate Ivana Knoll intitulé « Décolleté vertigineux et minijupe au stade : Ivana Knoll, la supportrice croate qui affole le Qatar« . On n’y apprend rien, sauf que la demoiselle se sert de son physique pour vendre des canettes de quelque chose -dans une tenue qui laisse peu de place à l’imagination, cela va de soi. Les boomers libéraux qui lisent Le Figaro ont sans doute été bien contents que leur canard leur propose ce lien, eux qui brûlaient de savoir la biographie détaillée de la jeune femme et ses opinions politiques.

Capture d’écran du profil Instagram d’Ivana Knoll

Bref, les influenceurs utilisent les mêmes ficelles que le commercial en porte à porte d’antan, et vous vendent le même way of life fantasmé que dans les années 50 : insouciance, argent facile, matérialisme superflu. Sous le vernis de la modernité apparaissent des dinosaures œuvrant pour l’éternité de l’Anthropocène, des relais efficaces d’entreprises se foutant finalement allègrement de l’environnement ou de la progression morale de l’individu. Ils donnent à voir toujours le même imaginaire de sexe, de publicités, de matérialisme, le même humour consensuel et fondé sur une observation pseudo-sagace ou décalée des banalités du quotidien. Ils sont les maillons d’un système qui ne change absolument pas, dans lequel on parle désormais de « consommer mieux » ; mais qui ne remet jamais en cause la consommation comme rapport au monde, aux choses, aux autres.

Oui, les influenceurs sont des fossiles du monde d’avant. Et ce monde se battra pour continuer à exister ; fût-ce contre la logique, la protection de l’environnement, l’évolution et l’adaptation aux réalités du monde.

À vous d’oser penser par vous-même : sapere aude !

Législatives : discréditer un candidat pour les nuls

Les candidats sans parti sont plus vulnérables face à un appareil politico-médiatique qui goûte visiblement fort peu les profils atypiques, les trublions, ou tout simplement… l’indépendance d’esprit.Exemple en Ariège.

Affiche de campagne de Yann de Kerimel et Muriel Capdeville.

Qui est Yann de Kerimel, candidat malheureux aux élections législatives en Ariège ? Un conservateur ? Un peu, sans doute. Par exemple, il tient la famille pour un socle de la société et de l’instruction des enfants, et a manifesté avec la Manif pour tous. Mais il n’est pas un libéral absolu. En matière d’économie, il prône un protectionnisme mesuré pour lutter contre la dépendance alimentaire, et aussi pour revenir à une consommation plus locale. Écolo, donc ? Un peu aussi. Anarchiste ? Non, ce qui ne l’a pas empêché de manifester contre des dérives qu’il a jugées liberticides lors de la crise du Covid. Il a aussi cru à certaines revendications des Gilets jaunes : cela fait-il de lui un gaucho ou un droitard ? La réponse est sans doute autre.

Élu à la chambre d’Agriculture (il est éleveur) et candidat malheureux aux législatives (2,86% dans sa circonscription), Yann croit en l’action politique ; toutefois, il a remarqué le goût de l’État pour un mille-feuilles administratif souvent peu utile, et systématiquement très onéreux. Il n’est pas un révolutionnaire, mais il n’est pas non plus le gardien sévère du vieil ordre. Il est inclassable.

Les candidats indépendants : David contre Goliath

En fait, la vision de Yann est complexe et se nourrit de ses expériences, de ses discussions, et des caractéristiques de son pays rural et paysan. Soucieux d’améliorer le sort de ses concitoyens, il s’est jeté dans le bain des législatives, sur les terres du député LFI Michel Larive. Comme David contre Goliath, il a voulu affronter les gros, et sans grande connaissance des codes médiatiques.

Par sympathie, j’ai aidé Yann à mettre en forme ses éléments de langage il y a quelques semaines. J’ai découvert son système de pensée atypique mais cohérent. Quelle ne fut pas ma surprise d’apprendre que j’avais côtoyé un séide de Satan lui-même !

Le label « extrême-droite », une valeur sûre !

Capture d’écran francebleu.fr : Yann de Kerimel est étiqueté « Divers extrême droite »… grâce à la Préfecture.

Eh oui : Yann ose dénoncer le clientélisme en politique, veut plafonner le salaire des élus et obliger les députés à être présents un minimum de temps à l’Assemblée nationale. En plus, il souhaite que les traités européens ne portent pas préjudice aux agriculteurs français (europhobie ?). Enfin, il veut mettre fin au financement public des partis politiques, syndicats, et autres lobbies communautaristes. Peu importe le reste de son programme : la Préfecture s’est sans doute arrêté à ces aspects. Alors, elle l’a étiqueté « Divers extrême-droite », et le ministère de l’Intérieur a relayé cette information, sur laquelle se sont fondés les médias.

Dans le système politico-médiatique actuel, l’appellation « extrême-droite » fait de vous un infréquentable : le bruit des bottes résonne déjà. Ce genre d’épithète impressionne encore une bonne partie de la population : on l’a encore vu lors de l’élection présidentielle, où Emmanuel Macron n’a même pas eu à proposer d’autre programme que « faire barrage à l’extrême-droite » pour rafler la mise.

Alors, Yann a protesté. Il a appelé la Préfecture et leur a signalé que cette étiquette ne correspondait pas à son programme (un espèce de patchwork idéologique empruntant aussi bien à Mélenchon qu’à Le Pen ou Macron). Le chef de cabinet, auteur de la nuance problématique, a répondu avoir trouvé ça « extrême-droite », sans autres explications. Après un entretien de 45 minutes avec Yann, il a validé la nuance « Divers » et a  envoyé un communiqué aux médias le 25 mai pour les informer. Mais le mal était fait : seuls deux médias locaux [1] en ont parlé, et le site ministériel n’a été mis à jour que le… 7 juin !

Mail de protestation envoyé à la Préfecture le 2 juin par Yann de Kerimel.

Des médias idéologues aux ordres

Yann a ensuite fait la tournée des médias, autant qu’il pouvait avec ses petits moyens. Et c’est le journal régional La Dépêche qui s’est distingué. Après l’avori étiqueté « Divers » [2], ils effectuent un virage à 180° le dernier jour de campagne et le qualifient de candidat d’extrême-droite dans un article [3]. De quoi frapper l’opinion publique juste avant le scrutin (l’Ariège a voté majoritairement LFI à l’élection présidentielle), et le priver de tout droit de réponse, puisque la campagne était terminée le jour même à minuit. Pris par le sprint final, le candidat malheureux ne saura pas le pourquoi de ce timing étrange. Il contacte la rédaction qui se fend d’un minuscule encart dans l’édition du 11 juin. Un peu tard !

Capture d’écran La Dépêche du 10 juin 2022.

Cet article n’est pas un dithyrambe en faveur d’un candidat à la députation : j’ai aidé Yann par sympathie et il a perdu. Cela m’a permis de partager son aventure individuelle et l’enthousiasme de quelqu’un qui croit encore à la politique, quand j’en suis moi-même devenu blasé.

Cela m’a permis aussi de voir comment on peut discréditer un candidat qui propose des idées au moins originales : il suffit qu’une autorité accolle à son nom les deux mots du Mal absolu. Je ne connais pas les raisons qui ont poussé les électeurs à voter ou à ne pas voter pour Yann : mais j’ai à nouveau vu dans cet épisode le pouvoir de nuisance, le manque d’arguments et l’hypocrisie (ou pire : l’inconséquence) de ceux qui conditionnent l’opinion publique.

Pour ceux qui aiment se faire leur propre avis sans qu’on le leur dicte : le programme de Yann est lisible sur son site www.kerimel2022.fr: à vous de voir si on parle de la Bête !

[1] https://gazette-ariegeoise.fr/legislatives-2022-le-candidat-yann-de-kerimel-obtient-la-rectification-de-sa-nuance-politique/

[2] https://www.ladepeche.fr/2022/05/20/legislatives-2022-en-ariege-decouvrez-les-noms-des-candidats-de-votre-circonscription-10307573.php

[3] Capture d’écran La Dépêche du 10 juin 2022

Émeutes à Sevran : d’inquiétantes réactions politiques et médiatiques

Idéologie forcenée ou peur des racailles ? Certains médias et responsables politiques ont des priorités pour le moins étonnantes, qui révèlent une tension sociale exacerbée autour de certains sujets.

Capture d’écran : Facebook AJ+ France.

Il conduisait un fourgon fraîchement volé [1], a refusé d’obtempérer lors d’un contrôle de police, et aurait tenté de percuter un fonctionnaire de police en voiture . Ce dernier a ouvert le feu et grièvement blessé le suspect dans des circonstances encore « floues » (d’après le parquet de Bobigny). Résultat : l’homme est mort dans l’après-midi du samedi 26 mars.

Les conséquences de cet évènement sont malheureusement prévisibles : des voyous ont saisi l’occasion pour affronter les policiers trois nuits de suite. Véhicules incendiés (dont un bus volé par une cinquantaine de personnes munies de barres de fer), barricades enflammées, jets de projectiles sur les forces de l’ordre [2]

Les réactions à chaud de certains acteurs politiques ou médiatiques sont préoccupantes. C’est le moins que l’on puisse dire.

Appel à l’émotion, minimisation de la délinquance…

Dimanche 27 mars, AJ+ France diffuse sur Facebook une vidéo de 59 secondes intitulée « Des tensions sont survenues hier soir à Sevran après le décès d’un père de famille tué par la police quelques heures auparavant« . Un « père de famille » : cette qualification, sans doute réelle, sert ici évidemment à susciter l’empathie. On imagine une femme et des orphelins éplorés (ce qui est sans doute le cas aujourd’hui). En jouant sur le pathos, AJ+ brouille son audience : ce n’est pas parce qu’il était un père de famille qu’il est mort, mais parce qu’il a refusé d’obtempérer et a semble-t-il tenté de percuter un fonctionnaire.

Non content d’appeler à l’émotion des gens qui suivent ses messages sur les réseaux sociaux (c’est le pire moyen de penser des faits graves, au passage), AJ+ minimise les débordements constatées en Seine-Saint-Denis, en évoquant des « tensions », alors que les images montrent des policiers visés par des tirs de mortiers et de projectiles. Les termes émeutes (Larousse : « soulèvement populaire, explosion de violence ») ou  « sédition » (« soulèvement concerté contre l’autorité établie ») seraient plus adéquats, puisque les émeutiers agissent contre les représentants de l’État et se concertent. 

AJ + minore donc certains faits, soit pour ne pas stigmatiser les fauteurs de troubles (qui le font très bien tout seuls), soit par respect d’une ligne éditoriale partiale prédéterminée qui accorde davantage le bénéfice du doute aux « jeunes des quartiers » de nos banlieues. Deux hypothèses aussi plausibles l’une que l’autre, au vu de la ligne éditoriale du média qui reprend à peu près tous les codes de la victimisation des quartiers et des musulmans sous couvert d’être un “média inclusif qui s’adresse aux générations connectées et ouvertes sur le monde“. Leur traitement partisan de certains sujets comme l’ « islamophobie » (non reconnue par l’UE), ou encore le conflit israëlo-palestinien sont déjà bien documentés.

… mues par la peur ?

Communiqué de Stéphane Blanchet du 26 mars 2022.

Le maire de Sevran Stéphane Blanchet a lui fait montre d’une réaction empressée. Son communiqué du 26 mars (le jour même de l’évènement) vise en fait à donner des gages de bonne volonté à ceux qu’il sait largement capables de créer des émeutes : empathique, il évoque « un Sevranais » qui était « père de famille« , évoque des « circonstances dramatiques« , indique qu’une « enquête est en cours » et que ses « premières pensées vont à sa famille« . Enfin, il anticipe le prétexte futile de probables émeutes (« la douleur« ) et appelle au calme.

Il est évident que de tels appels au calme de la part d’un édile seraient complètement loufoques dans bien d’autres villes où les émeutes ne sont pas un passe-temps habituel. Mais nous sommes à Sevran et le maire sait sans doute que voyous et délinquants ont un grand pouvoir dans sa ville. Il connaît la violence de leur mode d’expression et les prétextes qu’ils utilisent pour s’y adonner. Sa réaction peut donc être interprétée comme la démonstration de sa crainte de représailles contre les services publics de sa ville et de la connaissance qu’il a des modes d’action de certains de ses administrés. C’est quoi qu’il en soit un terrible aveu de faiblesse. Députée LFI, Clémentine Autain signe un communiqué de la même teneur le même jour, qui témoigne du même état des lieux : un « père de famille » est mort, c’est un moment de « douleur », elle présente toutes ses « condoléances » aux proches et à la famille, mentionne l’enquête en cours, et conclut en indiquant que « l’heure doit être à l’apaisement et au recueillement ».

Notons dans cette affaire que si le suspect est systématiquement humanisé, le gardien de la paix reste invariablement « un policier » ou « un fonctionnaire de police ». Personne ne s’est demandé s’il était un grand frère, un mari ou un père ! Seul l’un des deux protagonistes a droit à cette attention. Pourtant, d’après Le Monde, le policier a été hospitalisé en état de choc après les faits [3].

Communiqué de Clémentine Autain du 26 mars 2022.

Des divisions graves en France

Résumons : d’un côté, un fonctionnaire de police dont l’enquête de l’IGPN en cours dira si l’usage de son arme à feu était légitime. De l’autre côté, un homme dont le comportement suspect et les choix l’ont mené à la mort. S’il ne faut jamais minimiser la mort d’un homme, rappelons aux belles âmes promptes à s’indigner qu’il aurait pu faire pléthore d’autres choix qui lui auraient été plus favorables.

Les leçons à retenir de ce sinistre épisode ? Des responsables politiques de terrain connaissent parfaitement la violence des racailles envers tout ce qui représente l’État et la France. Ils la redoutent, peuvent la minimiser et tentent de passer de la pommade. Ils n’ont pas compris que cette commisération surjouée est une erreur, notamment lorsqu’elle s’adresse à des jeunes hommes peut-être majoritairement issus de cultures dans lesquelles la force est respectée et la faiblesse méprisée. Sans surprise, Al Jazeera nous donne à voir une inquiétante lecture victimaire de faits bien sélectionnés, ajoutant de l’huile sur le feu.

Le vivre-ensemble, cette notion ânonnée par beaucoup à tout bout de champ, s’effondre vite au contact d’un réel dur et inquiétant. Certains évènements sont des prétextes pour poursuivre un affrontement larvé qui dure depuis longtemps en France. Il suffit de lire quelques commentaires sous la vidéo d’AJ+ pour s’apercevoir que la France ne sait même plus faire respecter son intégrité, suscite la méfiance, voire est vue comme une ennemie. “Je peux conclure l’enquête de l’IGPN : non-lieu“, ironise un internaute. Un autre demande “que les quartiers se soulèvent“, un troisième estime que la police “veut la guerre” et l’aura “bientôt“, précisant “on a la haine contre eux“.

Sommes-nous encore une République indivisible ? On peut franchement en douter.

Commentaire sur Facebook sous la vidéo d’Al Jazeera (capture d’écran).

(1) https://www.leparisien.fr/faits-divers/course-poursuite-a-sevran-un-homme-grievement-blesse-par-le-tir-dun-policier-26-03-2022-M44OIC5AL5G5RI6CJVYMJA4OQY.php

(2) https://www.ladepeche.fr/2022/03/28/nuit-de-violences-a-sevran-et-aulnay-sous-bois-apres-la-mort-dun-homme-tue-par-un-policier-10199199.php

(3) https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/03/27/sevran-le-conducteur-d-un-vehicule-vole-tue-par-un-policier-des-tensions-eclatent_6119344_3224.html

AJ+, au-delà de l’information cool et branchée

Le média qui s’autoproclame « inclusif » est le promoteur d’une certaine idée du monde…

Les sénateurs ont voté un amendement interdisant le voile dans les compétitions sportives ? AJ+ propose un traitement de l’information bien travaillé, mais biaisé et porteur d’une vision du monde bien connue. Le média qatari se fait surtout le relais de l’islamisme politique, et utilise les mêmes recettes. Décryptage.

Capture d’écran AJ+ français (page Facebook).

AJ+ en France mise tout sur les réseaux sociaux ! Affranchi des médias traditionnels, le média diffuse ses contenus directement sur les GAFAM. Sa ligne éditoriale est résumée sur sa page Facebook : « Média inclusif qui s’adresse aux générations connectées et ouvertes sur le monde. Éveillé·e·s. Impliqué·e·s. Créatif·ive·s. » Notons que « éveillé » se dit « woke » en anglais.

Visiblement soucieux de laïcité et de justice sociale, AJ+ couvre ces jours-ci les discussions parlementaires sur le port du voile lors des compétitions sportives, et en général au sein de l’espace public français. Interpellé par son grand écart idéologique (à la fois relais des thèses woke/indigénistes et outil de soft power qatari), on souhaite savoir ce que donne cette alliance de concepts a priori contre-nature sur le port du voile pour les sportives.

Cela commence jeudi 20 janvier d’un post avec une photo (synonyme de davantage de visibilité) sur laquelle on peut lire : « Le Sénat a voté un amendement interdisant le port du voile lors de compétitions sportives« . Sur la photo, une jeune femme voilée au regard paisible tient un ballon de basket. Sa silhouette tout de noir vêtue masque la tour Eiffel en arrière-plan : l’image est bien choisie.

Au vu de la ligne éditoriale d’AJ+, on pourrait envisager le procès en islamophobie et la vieille antienne d’une France rance refusant la diversité et les lubies « woke« . Mais le média qatari est subtil : il sait que les jeunes, qui constituent sa cible marketing, sont rompus aux codes des réseaux sociaux sur lesquels ils s’informent davantage que les médias traditionnels (sondage Ifop pour France Info(1)) et n’apprécient que moyennement les injonctions éculées et directes à la papa.

Des intentions… voilées ?

Cependant, sur le port du voile dans les compétitions sportives, plusieurs éléments interpellent dans les publications du pure player : le contexte social, la sélection des informations, la façon de présenter l’information, et enfin l’échelonnement de l’information et des angles sur ce sujet.

D’abord le contexte social, qu’on suppose connu par tout média se prétendant sérieux. Les victimes sont légion ; la France trouve avec l’orthopraxie et le prosélytisme inhérents à l’Islam un inépuisable sujet de discorde ; le racisme (pardons, racialisme) est de retour ; le mouvement « woke » veille au grain. Ce type de post touche un sujet faisant régulièrement l’objet de controverses, potentiellement propre à échauffer les passions communautaristes : AJ+ le sait, ou devrait le savoir. Bien sûr, il ne s’agit pas de censurer l’information en fonction du contexte social, mais c’est un élément à prendre compte ici.

Le propos, maintenant. Contraint par le format des réseaux sociaux et l’aptitude à la concentration plutôt faible de l’internaute moyen, AJ+ omet plusieurs éléments, pourtant importants pour saisir la pleine mesure de ce vote sénatorial, et ses limites. En annonçant que « si cette fois-ci l’amendement est adopté par l’Assemblée nationale, toutes les compétitions sportives organisées par des fédérations françaises seront concernées« , AJ+ passe sous silence le fait que l’Assemblée nationale, à majorité macroniste, risque très fort de ne pas voter cet amendement (comme elle l’a déjà fait).

Ajoutons à cela le choix éditorial de préciser que ce vote sénatorial a eu lieu « malgré l’opposition de la ministre des Sports« . Cette façon de présenter l’information sous-entend un affront direct fait à un membre du gouvernement. Pourtant, la France est une démocratie parlementaire : si la Ministre peut donner son avis, les sénateurs ne sont nullement obligés d’en tenir compte.

Un entonnoir cognitif…

Dans un second post publié le lendemain (vendredi 21 janvier), AJ + précise son traitement du sujet en diffusant une vidéo relayant la parole des « premières concernées » par le sujet, qui d’après lui « ne sont encore une fois pas écoutées« . Il s’agit en fait de témoignages d’étudiantes voilées qui désapprouvent unanimement l’amendement. Le problème ici réside dans la sélection des témoignages en question. En effet, ils ne donnent à voir qu’un point de vue unique, résumé par AJ + dans son post : « Ça témoigne d’une islamophobie, qui est grandissante » (citation mise en exergue). En ne relayant que la parole de personnes épousant ses points de vue, le média donne l’illusion d’une unanimité totale sur le sujet, et semble vouloir épargner à son public un débat contradictoire.

À ce stade, on a l’impression que l’étau se resserre ; nous passons d’une information ponctuelle à une accusation indirecte. Cette impression est renforcée après lecture d’un troisième post publié le 23 janvier, où il est question des amendements et lois qui « fleurissent » en France depuis 2004, « certain.e.s » dénonçant une tentative de contrôler le corps des femmes musulmanes« . Le ton devient plus virulent et met en exergue un parti-pris distillé avec rythme ; la légende de l’image feint de se demander cette fois si « La France est en chasse contre le voile ? » (poser la question, c’est y répondre).

Enfin, le collectif des « Hijabeuses » est mis en avant dans un quatrième post le 27 janvier. On y voir des jeunes femmes voilées jouer au football devant le Sénat pour protester. La légende du post met en exergue leur sentiment « d’injustice« . La vidéo donne à voir une curieuse contradiction : les jeunes femmes y portent toutes le voile sur la voie publique et militent pour son port, qu’elles estiment être un droit ; mais déclarent en même temps que le porter est « quelque chose de personnel et d’intime« .

Finalement, sur ce sujet, AJ + informe, puis fait témoigner, pose ensuite une question en donnant les éléments d’une accusation, et conclut par la mise en scène d’une petite manifestation a priori sympathique. Le propos s’affine à l’aide de la technique du nudge. En clair, le média construit une architecture progressive qui amène le lecteur de son plein gré à une inévitable conclusion logique : la France est islamophobe.

… au service d’un autre objectif que le message visible ?

Le procédé rappelle fort une certaine conception de l’islamisme politique : victimisation et procès en islamophobie. L’alliance saugrenue du progressisme et de cet Islam politique se matérialise dans le second post, qui utilise le féminisme en vogue pour sous-entendre qu’un système patriarcal impose encore aux femmes ce qu’elles peuvent ou non porter. On remarque par ailleurs qu’AJ+ ignore superbement l’actualité de pays comme l’Iran, où la femme refusant de mettre un tchador peut réellement le payer de sa liberté, voire de sa vie.

Le média qatari donne ainsi à voir une interprétation toute personnelle de la laïcité et des Droits de l’Homme : utiles si ils servent sa vision du monde, ignorés sinon. Le résultat : un refrain paranoïaque et indigéniste déjà seriné 1 000 fois, que ne renierait pas Houria Bouteldja.

AJ+, un média ou un militant ? Poser la question, c’est y répondre…

(1) On appréciera une conclusion de ce sondage : ce sont aussi les personnes qui s’informent en priorité via les réseaux sociaux qui croient le plus aux fake news…