Les candidats sans parti sont plus vulnérables face à un appareil politico-médiatique qui goûte visiblement fort peu les profils atypiques, les trublions, ou tout simplement… l’indépendance d’esprit.Exemple en Ariège.

Qui est Yann de Kerimel, candidat malheureux aux élections législatives en Ariège ? Un conservateur ? Un peu, sans doute. Par exemple, il tient la famille pour un socle de la société et de l’instruction des enfants, et a manifesté avec la Manif pour tous. Mais il n’est pas un libéral absolu. En matière d’économie, il prône un protectionnisme mesuré pour lutter contre la dépendance alimentaire, et aussi pour revenir à une consommation plus locale. Écolo, donc ? Un peu aussi. Anarchiste ? Non, ce qui ne l’a pas empêché de manifester contre des dérives qu’il a jugées liberticides lors de la crise du Covid. Il a aussi cru à certaines revendications des Gilets jaunes : cela fait-il de lui un gaucho ou un droitard ? La réponse est sans doute autre.
Élu à la chambre d’Agriculture (il est éleveur) et candidat malheureux aux législatives (2,86% dans sa circonscription), Yann croit en l’action politique ; toutefois, il a remarqué le goût de l’État pour un mille-feuilles administratif souvent peu utile, et systématiquement très onéreux. Il n’est pas un révolutionnaire, mais il n’est pas non plus le gardien sévère du vieil ordre. Il est inclassable.
Les candidats indépendants : David contre Goliath
En fait, la vision de Yann est complexe et se nourrit de ses expériences, de ses discussions, et des caractéristiques de son pays rural et paysan. Soucieux d’améliorer le sort de ses concitoyens, il s’est jeté dans le bain des législatives, sur les terres du député LFI Michel Larive. Comme David contre Goliath, il a voulu affronter les gros, et sans grande connaissance des codes médiatiques.
Par sympathie, j’ai aidé Yann à mettre en forme ses éléments de langage il y a quelques semaines. J’ai découvert son système de pensée atypique mais cohérent. Quelle ne fut pas ma surprise d’apprendre que j’avais côtoyé un séide de Satan lui-même !
Le label « extrême-droite », une valeur sûre !

Eh oui : Yann ose dénoncer le clientélisme en politique, veut plafonner le salaire des élus et obliger les députés à être présents un minimum de temps à l’Assemblée nationale. En plus, il souhaite que les traités européens ne portent pas préjudice aux agriculteurs français (europhobie ?). Enfin, il veut mettre fin au financement public des partis politiques, syndicats, et autres lobbies communautaristes. Peu importe le reste de son programme : la Préfecture s’est sans doute arrêté à ces aspects. Alors, elle l’a étiqueté « Divers extrême-droite », et le ministère de l’Intérieur a relayé cette information, sur laquelle se sont fondés les médias.
Dans le système politico-médiatique actuel, l’appellation « extrême-droite » fait de vous un infréquentable : le bruit des bottes résonne déjà. Ce genre d’épithète impressionne encore une bonne partie de la population : on l’a encore vu lors de l’élection présidentielle, où Emmanuel Macron n’a même pas eu à proposer d’autre programme que « faire barrage à l’extrême-droite » pour rafler la mise.
Alors, Yann a protesté. Il a appelé la Préfecture et leur a signalé que cette étiquette ne correspondait pas à son programme (un espèce de patchwork idéologique empruntant aussi bien à Mélenchon qu’à Le Pen ou Macron). Le chef de cabinet, auteur de la nuance problématique, a répondu avoir trouvé ça « extrême-droite », sans autres explications. Après un entretien de 45 minutes avec Yann, il a validé la nuance « Divers » et a envoyé un communiqué aux médias le 25 mai pour les informer. Mais le mal était fait : seuls deux médias locaux [1] en ont parlé, et le site ministériel n’a été mis à jour que le… 7 juin !

Des médias idéologues aux ordres
Yann a ensuite fait la tournée des médias, autant qu’il pouvait avec ses petits moyens. Et c’est le journal régional La Dépêche qui s’est distingué. Après l’avori étiqueté « Divers » [2], ils effectuent un virage à 180° le dernier jour de campagne et le qualifient de candidat d’extrême-droite dans un article [3]. De quoi frapper l’opinion publique juste avant le scrutin (l’Ariège a voté majoritairement LFI à l’élection présidentielle), et le priver de tout droit de réponse, puisque la campagne était terminée le jour même à minuit. Pris par le sprint final, le candidat malheureux ne saura pas le pourquoi de ce timing étrange. Il contacte la rédaction qui se fend d’un minuscule encart dans l’édition du 11 juin. Un peu tard !

Cet article n’est pas un dithyrambe en faveur d’un candidat à la députation : j’ai aidé Yann par sympathie et il a perdu. Cela m’a permis de partager son aventure individuelle et l’enthousiasme de quelqu’un qui croit encore à la politique, quand j’en suis moi-même devenu blasé.
Cela m’a permis aussi de voir comment on peut discréditer un candidat qui propose des idées au moins originales : il suffit qu’une autorité accolle à son nom les deux mots du Mal absolu. Je ne connais pas les raisons qui ont poussé les électeurs à voter ou à ne pas voter pour Yann : mais j’ai à nouveau vu dans cet épisode le pouvoir de nuisance, le manque d’arguments et l’hypocrisie (ou pire : l’inconséquence) de ceux qui conditionnent l’opinion publique.
Pour ceux qui aiment se faire leur propre avis sans qu’on le leur dicte : le programme de Yann est lisible sur son site www.kerimel2022.fr: à vous de voir si on parle de la Bête !
[3] Capture d’écran La Dépêche du 10 juin 2022